Lors de la crise énergétique certaines situations d’indemnités de résiliation anticipée (IRA) se sont révélées problématiques menant les pouvoir publics, à l’initiative du Médiateur national de l’énergie (MNE) (1) à s’interroger sur un éventuel nouveau cadre d’application.
Dans sa lettre (2) dédiée au sujet, le MNE propose notamment « [d’étendre] à l’ensemble des TPE et aux non professionnels (copropriétés, associations, petites collectivités locales…) les dispositions protectrices du code de la consommation qui concernent les consommateurs particuliers d’énergie », parmi lesquels l’interdiction d’application d’IRA.
Afin d’éclairer ces travaux, l’AFIEG souhaite partager son analyse sur les particularités du marché de l’énergie qu’il est primordial d’intégrer à toute réflexion sur l’encadrement des indemnités de résiliation anticipée d’un contrat de fourniture d’énergie.
Enfin, l’AFIEG fait part de ses propositions concrètes pour un éventuel encadrement des IRA aux TPE et assimilées, dont le champ pourrait à cette occasion être étendu au segment résidentiel afin que se développent des offres pluriannuelles à prix fixe plus compétitives et des innovations tarifaires – étant entendu que le client particulier aurait le choix de souscrire à une offre avec ou sans engagement.
1. Préciser l’encadrement des IRA : l’opportunité de développer les offres pluriannuelles à prix fixes pour les consommateurs résidentiels :
Sur le segment des consommateurs professionnels, outre les dispositifs d’aide, ce sont les offres pluriannuelles à prix fixe, signées avant la crise, qui ont permis de protéger les clients qui y avaient souscrit de l’envolée des prix de gros.
Ce type d’offres, permises par l’article 12 de la directive Électricité, permettraient aux fournisseurs de proposer à leurs clients des formules à prix fixe sur une durée déterminée (renouvelable), et de développer les offres de fourniture innovantes au plan tarifaire ou à travers la mise à disposition d’équipements de maîtrise et d’optimisation de la consommation. Ces offres ont un double intérêt :
– Elles sécurisent le consommateur dans un prix fixe, sur une durée pouvant aller d’un à trois ans. Cette stabilité ne peut être offerte par le TRVE, qui évoluent deux fois par an et par sa construction qui relève plus d’un lissage des hausses de prix que d’une réelle protection ;
– Elles sont moins chères. En effet, le risque d’attrition du portefeuille est « pricé » dans les offres aux consommateurs résidentiels (et constitue même une brique de coût du TRVE) de manière à couvrir ce risque lié à la capacité des consommateurs de résilier à tout moment leur contrat, sans indemnité, et aux volumes sourcés pour une consommation finalement moindre.
Cependant, ces offres aux particuliers sont actuellement inexistantes, du fait de l’impossibilité d’engager le client sur une durée déterminée, par exemple sur la durée nécessaire à amortir l’investissement du fournisseur dans l’équipement de pilotage.
La précision de l’encadrement des IRA prévue est donc l’occasion d’autoriser les fournisseurs à formuler des offres avec engagement, plus compétitives et innovantes. Il conviendrait évidemment que le consommateur ait le choix de souscrire à une offre avec ou sans engagement, et que cette possibilité soient circonscrites aux offres de marché : les TRVE resteraient une option sans engagement.
Les règles européennes en vigueur permettraient l’application d’indemnité de résiliation anticipée aux particuliers, dès lors il ne faudrait qu’une légère adaptation du cadre juridique français3. Afin d’adapter le droit français et d’encadrer au mieux les indemnités de résiliation, l’AFIEG présente les principes généraux qu’il faudrait respecter ainsi que plusieurs modalités d’encadrement des IRA.
2. Principes généraux à respecter
➢ L’AFIEG rappelle que l’application d’IRA résulte d’une couverture sérieuse du fournisseur en back-to-back et évite les cas type « Hydroption », ou l’application de prime couvrant le risque de résiliation.
➢ Du fait de l’introduction des règles prudentielles sur les fournisseurs (que l’AFIEG soutient, dans les termes proposés par la CRE), cette stratégie de couverture tend à se renforcer. Il convient donc que tout encadrement des IRA soit cohérent avec les nouvelles exigences de couverture des fournisseurs.
Dans ce sens, l’AFIEG note par ailleurs qu’en contrepartie de l’introduction de critères prudentiels, la CRE pourrait être favorable au développement d’offres à prix fixe pluriannuel « avec engagement » sur le segment résidentiel. L’AFIEG soutient pleinement cette évolution qui permettrait le développement d’offres innovantes et plus compétitives. Le consommateur aurait évidemment le choix d’opter pour une offre sans engagement. (voir infra)
➢ Tout nouvel encadrement envisagé se devra d’être strictement compatible avec le droit de l’Union. En particulier, il est crucial que les fournisseurs puissent recouvrer l’intégralité des pertes économiques directes liées à la résiliation anticipée du contrat, lesquelles ne se limitent pas à la revente des électrons non-consommés par le client qui résilie avant le terme initial de son contrat de fourniture. La perte économique directe inclut également les garanties d’origine, les CEE et la capacité. Toute intervention qui ne permettrait pas de respecter le principe de la couverture des pertes économiques résultant de la résiliation anticipée, contribuera inévitablement à augmenter le risque de à réduire les propositions d’offres à prix fixe pluriannuelles par les fournisseurs ou a minima à les renchérir significativement par l’application d’un premium, afin de couvrir le risque d’attrition comme c’est déjà le cas sur le segment résidentiel.
➢ Si un encadrement normatif était inscrit dans les textes, il devrait être réalisé en concertation avec les fournisseurs et le détail devrait être défini par une délibération de la CRE.
➢ Si certaines bonnes pratiques étaient proactivement proposées, il convient de laisser aux fournisseurs la faculté de choisir des modalités différentes si celles-ci permettent de satisfaire aux exigences de transparence et de couverture des pertes.
3. Propositions de l’AFIEG pour un encadrement des IRA aux TPE et assimilés dans l’électricité
Les enjeux d’un tel encadrement
L’AFIEG dégage deux principaux objectifs à atteindre pour des modalités d’IRA efficaces, dans un contexte juridique contraint :
– d’une part, faire en sorte que les IRA sont facturées au plus proche des pertes économiques directes subies par le fournisseur du fait de la résiliation anticipée par le client ; et
– d’autre part, offrir au consommateur la pleine transparence sur les IRA qui pourraient être dues.
En tout état de cause, et au regard du cadre juridique communautaire, il est difficile de remplir parfaitement ces deux objectifs. En effet, par définition, les pertes économiques directes au titre de la revente sur le marché de l’énergie non consommée du fait de la résiliation anticipée ne sont connues qu’au moment de la résiliation : ces pertes ne sont pas des coûts fixes mais des coûts proportionnels aux différences de prix des produits concernés entre l’achat et la revente.
De notre compréhension, ces difficultés ont été identifiées par les services juridiques du ministère.
➢ Proposition d’encadrement : Préciser la définition des pertes économiques directes
L’appréciation juridique de l’AFIEG conclut qu’à date, la notion de pertes économiques directes, ne trouve pas en droit de définition exhaustive, notamment à propos des coûts concernés pour l’évaluation de ces pertes. Pour une meilleure compréhension et transparence de l’ensemble des acteurs, l’évolution de l’encadrement des indemnités de résiliation anticipée en France pourrait être complété d’une définition de la notion de « pertes économiques directes ».
Si l’on considère que les pertes économiques directes correspondent au mark-to-market, il est primordial de ne pas considérer seulement le mark-to-market de l’électron. En effet la résiliation avant terme d’un contrat de fourniture induit également la revente de garanties d’origine (GO), de CEE et de garanties de capacité, ainsi que des coûts de gestion.
Rédaction possible pour une évolution législative acceptable et pertinente au plan du droit :
A l’article L.332-2 du code de l’énergie, compléter ainsi la fin de l’article :
« Par dérogation aux dispositions de l’alinéa précédent, des frais de résiliation peuvent être facturés pour des contrats à durée déterminée que les clients résilient de leur plein gré avant leur échéance. Ces frais sont clairement communiqués avant la conclusion du contrat et ne peuvent excéder la perte économique directe subie par le fournisseur, liée à l’ensemble des coûts de la couverture des parts fixes du contrat de fourniture sur toute sa durée et tiennent compte des surcoûts ou des bénéfices générés par la revente sur le marché de gros de cette couverture. Le fournisseur d’électricité communique au client à sa demande et met à sa disposition sur son espace personnel le montant des frais de résiliation dus le cas échéant. Les éléments de prix à prendre en compte et les modalités de détermination et de communication des frais de résiliation sont fixées par délibération de la Commission de régulation de l’énergie.
Les justifications derrière cette rédaction sont les suivantes :
– Les offres à prix fixe ne sont pas les seules qui comportent un risque de mark-to-market. En effet une offre indexée ou “bloc+spot” peuvent également inclure une couverture : des GO, de la capacité, ou des CEE par exemple. Nous proposons donc de ne pas faire mention de contrats « à prix fixe » ;
– La mention de « l’ensemble des coûts de couverture » explicite le fait que ces coûts ne sont pas liés qu’à la couverture de l’énergie ;
– Nous proposons que le champ réglementaire soit laissé à la CRE dans une délibération qui détaillerait l’ensemble des produits soumis à un mark-to-market et sujet à l’application de frais de résiliation, ainsi que les modalités de communication de ces frais.
La mise en œuvre de ces objectifs peut se faire selon des modalités variées à l’initiative des fournisseurs et sans cadre prescriptif entérinant une seule solution. En voici les principales :
➢ Modalité 1: Une “calculatrice” IRA mise à disposition du consommateur par la CRE
Il pourrait être pertinent de donner aux clients les moyens de calculer à chaque instant le montant des IRA qui seraient dues en cas de résiliation anticipée. Cet empowerment du consommateur pourrait passer par une calculatrice d’IRA mise à disposition par la CRE et librement accessible sur son site.
Concrètement, le client entrerait les éléments essentiels de son contrat donnant lieu à une couverture (électron, CEE, capacité, GO, etc.) ainsi que les dates de souscription et de résiliation envisagée (éventuellement, la forme de la consommation). La calculatrice en dégagerait un mark-to-market et donc un montant d’IRA cohérent avec les caractéristiques du contrat. Les paramètres de cette calculatrice seraient à préciser avec la CRE, sur base d’éléments réglementaires.
Cette calculatrice permettrait :
– de fournir une information claire et personnalisée au consommateur par la mobilisation d’un outil mise à disposition par le régulateur ; et
– d’introduire des éléments objectifs aux échanges commerciaux et de médiation. Il est entendu que les IRA ainsi calculées seraient à visée informative et que le fournisseur ne pourrait s’engager à répliquer strictement le montant donné par cette calculatrice. Le montant réel facturé résulterait de l’application du cadre juridique actuel, complété des précisions énoncées supra sur la nature des produits d’une offre faisant l’objet d’une couverture, d’un coût de revente par conséquent d’IRA.
➢ Modalité 2 : L’application d’un montant forfaitaire connu à la signature du contrat
Il s’agit d’appliquer une indemnité forfaitaire (en euros) à la résiliation du contrat dont le montant et la temporalité d’application seraient communiqués dès la souscription du contrat. Ce montant sera appliqué au client au prorata temporis lors de la résiliation en cours de contrat. Une telle pratique permet d’afficher un montant transparent en amont de la souscription. Il est entendu que la définition de ce montant forfaitaire serait laissée à la libre appréciation de chaque fournisseur, car dépendante de chaque portefeuille client et taux de churn notamment.
Une approche forfaitaire, si elle a l’avantage d’être adaptée à la typologie de client de chaque fournisseur sous réserve qu’il puisse l’établir librement, pourrait impliquer un risque de sous-couverture pour le fournisseur.
Enfin, l’AFIEG note que cette approche forfaitaire pourrait être particulièrement adaptée à l’application d’IRA au segment résidentiel où les consommateurs recherchent une grande transparence.
➢ Modalité 3 : Plafonnement des IRA selon les pertes économiques directes et un montant déterminable par le client
Une alternative pourrait être d’encadrer les IRA comme le minimum entre :
– d’une part, les pertes économiques directes résultant de la résiliation anticipée (lesquels seraient précisées, cf. Proposition d’encadrement) c’est à dire le mark-to-market ; et
– d’autre part, un montant forfaitaire calculé comme un pourcentage du prix contractualisé des produits ayant fait l’objet d’une couverture. Ce pourcentage serait réglementairement plafonné.
Dans cette perspective, une approche simplifiée de la perte économique pourrait être choisie en l’appréciant à la maille du portefeuille.
Cette approche reprendrait la méthodologie prudentielle (Value at Risk – VaR à 5 % ) de la Commission de régulation de l’énergie de valorisation des risques liés à la fourniture aux tarifs réglementés de vente (TRVE) : calculer, puis utiliser mark-to-market (MtM) du premier quintile comme base de calcul de la perte économique directe de chaque client.
Ce montant serait calculé une fois par an et expertisé, avec les autres briques de coût, par un Commissaire aux comptes (CAC).
Résumé des propositions :
Annexe : éléments de droit interne et de droit communautaire sur les indemnités de résiliation anticipée dans la fourniture d’électricité
Directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte).
Article 12
Droit de changer de fournisseur et règles applicables aux frais de changement de fournisseur
3. […] les États membres peuvent autoriser les fournisseurs ou les acteurs du marché pratiquant l’agrégation à facturer aux clients des frais de résiliation de contrat lorsque ces clients résilient de leur plein gré des contrats de fourniture d’électricité à durée déterminée et à prix fixe avant leur échéance, pour autant que ces frais relèvent d’un contrat que le client a conclu de son plein gré et qu’ils soient clairement communiqués au client avant la conclusion du contrat. Ces frais sont proportionnés et ne dépassent pas la perte économique directe subie par le fournisseur ou l’acteur du marché pratiquant l’agrégation du fait de la résiliation du contrat par le client, y compris les coûts de tout investissement groupé ou des services qui ont déjà été fournis au client dans le cadre du contrat. La charge de la preuve de la perte économique directe incombe au fournisseur ou à l’acteur du marché pratiquant l’agrégation et l’admissibilité des frais de résiliation de contrat fait l’objet d’une surveillance de la part de l’autorité de régulation, ou toute autre autorité nationale compétente.
Code de l’énergie, Livre III, Titre III, Chapitre II : les contrats et offres de fourniture
Article L332-2
[…] L’article L. 224-15 du code de la consommation est applicable aux consommateurs non domestiques qui emploient moins de cinquante personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total de bilan annuel ou les recettes, s’agissant des collectivités territoriales au sens du premier alinéa de l’article 72 de la Constitution, est inférieur à 10 millions d’euros. Pour bénéficier de ces dispositions, ces consommateurs attestent sur l’honneur qu’ils respectent ces critères. Par dérogation aux dispositions de l’alinéa précédent, des frais de résiliation peuvent être facturés pour les contrats à prix fixes et à durée déterminée que les clients résilient de leur plein gré avant leur échéance. Ces frais sont clairement communiqués avant la conclusion du contrat et ne peuvent excéder la perte économique directe subie par le fournisseur.
La jurisprudence récente consacre la facturation d’indemnités de résiliation anticipée. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé dans un arrêt du 11 janvier 2024 que l’imposition de pénalités en cas de résiliation d’un contrat de fourniture à durée déterminée par une petite entreprise est conforme au droit européen :
ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
11 janvier 2024
L’article 3, paragraphes 5 et 7, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE,
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, en cas de résiliation anticipée, par une petite entreprise, d’un contrat de fourniture d’électricité conclu pour une durée déterminée et à un prix fixe, en vue de changer de fournisseur, celle-ci est tenue au paiement de la pénalité contractuelle stipulée dans ce contrat, dont le montant peut correspondre à la totalité du prix de l’électricité qu’elle s’était engagée à acheter, même si cette électricité n’a pas été et ne sera pas consommée, alors que cette réglementation ne prévoit pas de critère pour le calcul d’une telle pénalité ou pour sa réduction éventuelle, pour autant que ladite réglementation, d’une part, garantisse qu’une telle stipulation contractuelle doive être claire, compréhensible et librement consentie et, d’autre part, prévoit une possibilité de recours, administratif ou juridictionnel, dans le cadre duquel l’autorité saisie peut apprécier le caractère proportionné de cette pénalité au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce et, le cas échéant, imposer sa réduction ou sa suppression.
(1) Point évoqué lors de la « réunion fournisseurs » avec la ministre de la transition énergétique, le 7 septembre 2023
(2) Lettre du Médiateur national de l’énergie, N°50 “Indemnités de résiliation anticipée des contrats d’énergie”, septembre 2024
(3) L’annexe 1 précise le cadre législatif actuellement en vigueur ainsi que la jurisprudence européenne.