Contribution de l’AFIEG
15 septembre 2020
L’AFIEG a bien pris connaissance de la consultation de la Commission de Régulation de l’Energie qui vise à recueillir les positions des acteurs sur les modifications de l’accord-cadre ARENH que la CRE envisage afin de clarifier les stipulations applicables notamment en cas de survenance d’un événement de force majeure.
Si elle accueille favorablement toute initiative visant à faire vivre les dispositions de l’accord-cadre, elle ne peut que s’interroger de façon liminaire sur l’objet et la pertinence d’une telle réforme dans un contexte juridique particulier dans lequel la Commission de Régulation de l’Energie a pu être appelée en cause. Alors que justement les juridictions compétentes se sont déjà exprimées avec une grande netteté, estimant que la situation était suffisamment claire dans le cadre de l’actuel accord cadre pour faire l’objet d’un jugement en référé, nous estimons que la réforme proposée par la CRE ne relèverait pas, pour l’essentiel, d’un besoin de clarification mais entrainerait un risque de restriction des possibilités futures de la mise en œuvre de la force majeure pour les acteurs alternatifs.
Cette réforme implique en effet une réécriture de l’accord-cadre dans un sens plus favorable à EDF, ce qui déséquilibre le contrat et donc le mécanisme en lui-même dont il convient de rappeler ici qu’il est pourtant régi par un principe « couramment appelé principe d’équivalence ». On rappellera que le souhait explicite du législateur, au travers de la loi du 7 décembre 2010, était que « du point de vue de son activité de fourniture d’électricité, EDF [soit] ainsi placé sur un pied d’égalité avec les fournisseurs alternatifs ».
Les articles L. 336.1 et L. 336.2 du Code de l’énergie prévoient ainsi que l’ARENH est « consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Electricité de France de l’utilisation de ses centrales […] situées sur le territoire national et mises en services avant le 8 décembre 2010 ». On rappellera également que l’article L.336-9 du Code de l’énergie vient préciser et compléter le caractère symétrique des conditions d’approvisionnement à l’ARENH en soumettant le propriétaire des centrales aux mêmes conditions de prix, de droits et plus généralement d’accès que les demandeurs d’ARENH : « Afin de garantir un accès transparent, équitable et non discriminatoire à l’électricité produite par les centrales nucléaires mentionnées à l’article L. 336-2, pour les fournisseurs d’électricité, y compris le propriétaire de ces centrales ».
Dès lors on peut s’interroger sur la légalité d’un éventuel arrêté remettant en cause, par la réforme proposée, un des aspects de ce principe d’équivalence défini par la Loi.
1. Êtes-vous favorables aux évolutions envisagées s’agissant notamment des stipulations applicables en cas d’invocation du bénéfice de la force majeure ?
Sur la disparition de la référence aux conditions économiques raisonnables
L’AFIEG s’oppose à cette proposition de la CRE, qui romprait l’équilibre du contrat. La formulation actuelle permet en effet un équilibre entre les acheteurs et Electricité de France :
• EDF bénéficie non seulement de la possibilité de suspendre l’accord-cadre au titre de la force majeure rendant impossible « l’exécution de ses obligations dans des conditions économiques raisonnables » ; mais également d’une possibilité « de suspension du dispositif ARENH par arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie pris en application de l’article L. 336-3 du code de l’énergie du fait de circonstances exceptionnelles affectant les centrales nucléaires d’EDF situées sur le territoire national et mises en service avant le 8 décembre 2010 » (article 13.1). Electricité de France avait d’ailleurs appelé le gouvernement, en octobre 2016, à faire usage de cette possibilité. Par ailleurs, le groupe EDF dispose de la possibilité de diminuer sa production d’électricité, mais aussi les volumes livrés à EDF Commerce, qui n’est pas soumise aux contraintes d’enlèvement de l’ARENH, ce qui crée une distorsion importante par rapport aux fournisseurs alternatifs, particulièrement dans le cas de survenance d’un évènement de force majeure affectant la demande d’électricité. On l’a bien constaté en mars dernier.
• De leur côté, face à ces deux évènements (économique et technique) de force majeure, les acheteurs disposent d’une possibilité de suspension dans le cas de survenance d’une force majeure économique.
Retirer la notion de conditions économiques raisonnables revient à risquer de priver l’acheteur de toute possibilité d’exercer la force majeure, face à un vendeur qui pourrait continuer à en bénéficier.
A tout le moins il est impératif d’atténuer la portée de l’article 13.1, en spécifiant que la suspension du dispositif ARENH pris par arrêté ne pourra affecter les volumes cédés qu’en dernier ressort, c’est-à-dire que si l’évènement au titre duquel l’arrêté est pris affecte l’intégralité de la production nucléaire non destinée à l’ARENH, les volumes ARENH devant en effet être cédés en priorité. Cette imprécision de rédaction avait ainsi incité l’opérateur historique à réclamer la suspension de l’ARENH fin 2016, suspension que le Gouvernement avait alors refusée.
Sur la suspension de plein droit
L’AFIEG note la précision faite par la CRE sur la possibilité de suspension de plein droit, et notamment que celle-ci est automatique, même en absence d’accord de l’autre partie, charge à cette dernière de saisir alors le juge compétent. Cette clarification reprend ce que les juridictions ont d’ailleurs déjà affirmé et la CRE tire utilement sur ce point les conséquences des décisions de justice du printemps dernier.
Ainsi, l’AFIEG considère comme bienvenues les modifications suivantes apportées à l’article 13.1, qui, par ailleurs, clarifie les modalités d’application de la force majeure.
Pour le point 3, la suspension de l’exécution des obligations de l’accord-cadre prend effet le deuxième jour ouvré suivant la réception par la CRE de la notification de l’apparition d’un événement de force majeure par la Partie qui l’invoque. La Partie invoquant la force majeure doit la notifier à la CRE, à la CDC et à l’autre Partie dans les conditions définies à l’article 10.2 du présent accord-cadre. La suspension entraîne de plein droit l’interruption de la Cession annuelle d’électricité et de garanties de capacité et des paiements correspondants. La CRE notifie aux Parties, par courrier électronique confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception, la mise en œuvre effective de cette suspension et en informe RTE et la CDC. Cette clause s’applique même dans le cas de contestation de l’existence de l’événement de force majeure par l’une des Parties (la Partie contestante). Dans une telle situation, la Partie contestante pourra saisir le juge compétent en application de l’article 19 du présent accord-cadre.
2. Quelles autres modifications vous semblent nécessaires pour clarifier la mise en application d’une telle clause compte tenu du retour d’expérience de la période passée ?
Sur l’exercice de la force majeure partielle
La survenance de la force majeure liée à la crise sanitaire du printemps dernier a mis en lumière la difficulté de l’accord-cadre à appréhender la situation d’une baisse violente, imprévisible et irrésistible, mais toutefois pas totale, de la consommation. Or, on ne peut qualifier publiquement d’opportunisme une demande de suspension totale, tout en reconnaissant le fondement d’une demande partielle que le juge a refusé d’appliquer faute d’être prévue expressément dans le contrat, sans proposer en conséquence d’aménager précisément le contrat pour rendre cette clause possible.
Et ce d’autant qu’une clause de force majeure partielle :
• Dispose d’un fondement en droit : la référence, à deux reprises dans la clause, à l’étendue de l’événement de force majeure ouvre un espace pour une application proportionnée de la clause, limitée aux obligations touchées ;
• Serait conforme à l’esprit du contrat : les parties à un contrat doivent mettre en œuvre la force majeure de façon à en limiter au minimum les effets et à maintenir autant que possible leur lien contractuel ; la suspension partielle de l’accord-cadre participe clairement de cet esprit ;
• Serait applicable en fait : la mesure de l’impact de la force majeure sur la consommation des clients du fournisseur, et partant sur les volumes d’ARENH qui leur sont destinés, si elle doit être actualisée de façon continue, est réalisable de façon transparente vis-à-vis des acteurs intéressés.
L’AFIEG s’étonne donc que la CRE, afin de permettre aux acteurs une application « responsable » du contrat, ne saisisse pas l’occasion de cette consultation pour proposer une clause rendant possible l’application de la force majeure partielle. Elle souhaiterait que celle-ci soit intégrée à l’accord-cadre, afin de permettre une application mesurée de cette clause.
Sur la mise à jour des accords-cadres
Afin de garantir une information optimale des contractants, à chaque modification légale ou réglementaire des termes de l’Accord-Cadre ARENH, EDF doit être tenu d’adresser à toutes les contreparties un avenant modificatif reprenant les termes en vigueur.
Sur la notification de la Force Majeure
L’AFIEG salue les modifications proposées par la CRE visant à clarifier les modalités de notification de la force majeure. Elle est globalement en accord avec les modifications proposées en la matière mais souhaiterait que le mode principal de déclaration de la force majeure reste la lettre recommandée avec accusé de réception. Cela est certes plus lourd, mais cela est aussi plus sécuritaire en termes d’opposabilité. Un simple courriel « au siège social » peut être perdu dans les boites de réception.
L’AFIEG propose par conséquent de modifier la phrase suivante au paragraphe 10.2 :
10.2 Notification de la force majeure
A la suite de la survenance de l’événement de force majeure, la Partie souhaitant invoquer le bénéfice de la force majeure devra, dès connaissance de la survenance de l’événement de force majeure, informer l’autre Partie, la CDC et la CRE, au choix par lettre recommandée avec accusé de réception courrier électronique ou et par lettre recommandée avec accusé de réception, de la date d’l’apparition de cet événement et, dans la mesure du possible, leur faire part d’une estimation, à titre indicatif, de l’étendue et de la durée probable de cet événement.
L’AFIEG considère par ailleurs comme bienvenus les ajouts proposés par la CRE au 10.3 et 10.4, qui clarifient les modalités d’exécution de la force majeure.
3. Considérez-vous qu’il existe d’autres clauses de l’accord-cadre qui devraient être modifiées ? Si oui, lesquelles et pour quelles raisons ?
Demande d’amélioration des délais de paiement
L’AFIEG demande que soit repris la réforme prévue par le projet de décret méthodologie pour permettre à l’Acheteur de choisir, dans son dossier de demande, un jour de paiement fixé au dernier jour ouvré du mois de livraison ou fixé au premier jour ouvré suivant le vingtième jour du mois suivant le mois de livraison. Cette disposition avait été adoptée par le CSE. Et la CRE avait recommandé dès 2012 « l’introduction d’une certaine souplesse dans le décret, qui permettrait aux fournisseurs de choisir la date qui leur convient le mieux » (Rapport sur le fonctionnement des marchés de détail 2011-2012). L’Autorité de la Concurrence avait également recommandé que cette modification soit approuvée dans son Avis n° 14-A-16 du 20 octobre 2014 (§24) et a confirmé sa recommandation dans son Rapport d’évaluation du 18 décembre 2015 sur le dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Très récemment encore, la CRE, dans son rapport d’évaluation 2018, recommandait l’«introduction d’une souplesse laissant à la discrétion du fournisseur demandeur d’ARENH le choix entre deux dates de paiement offre une flexibilité souhaitable pour le bon fonctionnement du dispositif ».
En effet, les délais de paiement actuellement en vigueur ont été fixés au dernier jour du mois de livraison. Ces délais ne permettent pas aujourd’hui d’écarter le ciseau de trésorerie (coûts de BFR) entre les acheteurs d’ARENH et l’opérateur historique. Le décalage entre les conditions standards de vente de l’opérateur historique à ses grands clients (entre le 20ème du mois suivant le mois de livraison et le dernier jour du mois N+2) et celles des fournisseurs alternatifs ne respecte pas le principe légal d’équivalence. Ainsi, 30 jours d’écart de BFR représentent plusieurs dizaines de centimes d’euros par MWh (selon le taux de financement du BFR retenu). Un tel besoin de trésorerie est un frein indéniable au développement de la concurrence sur le marché français. En outre, la très grande majorité des volumes de type baseload (produits futures type CAL B) sont aujourd’hui traités sur le marché de gré à gré et l’ARENH a vocation à se substituer à ces volumes. Or, ces transactions se font aux conditions standards « EFET », à savoir avec un paiement le 20 du mois suivant le mois de livraison de l’énergie.
Assouplir les délais de paiement serait donc une manière de rééquilibrer au besoin le contrat et de terminer une réforme inachevée depuis 2014 et pourtant recommandée à maintes reprises par les pouvoirs publics. Il conviendrait alors d’adapter la partie réglementaire du code de l’énergie à l’occasion du décret en cours de consultation relatifs au calcul des compléments de prix, et d’adapter ensuite en conséquence l’accord-cadre dans la présente proposition d’arrêté.
Clauses de suspension du dispositif ARENH
L’AFIEG salue les précisions apportées à la clause de résiliation anticipée. Elle souhaiterait cependant :
• Que soit précisée que la résiliation anticipée (article 13.2.2.) soit possible non seulement « lorsque les cas listés ci-après affectent la période de livraison en cours » mais aussi dès qu’il y a eu commande pour la livraison suivante (par exemple, une hausse du prix annoncée en décembre pour l’année suivante)
• Que soit précisée la notion de date de survenance de l’évènement comme étant la publication de la mesure et non la date de mise en œuvre de celle-ci.
Ainsi, l’article 13.2.2 doit être modifié comme suit :
Lorsque les cas listés ci-après affectent la période de livraison en cours ou la période de livraison ayant déjà fait l’objet d’une commande, l’Acheteur a la faculté de résilier l’accord-cadre :
A.- En cas de modification du prix prévu à l’article L. 337-13 du code de l’énergie strictement supérieure à 2 % ;
B.- En cas de modification substantielle de l’accord-cadre ;
C.- En cas d’évolution de la réglementation relative à l’ARENH autre que visée aux points A et B, affectant substantiellement et défavorablement l’équilibre de ses conditions d’approvisionnement.
Le cas échéant, l’Acheteur dispose de trente (30) jours à compter de la survenance de l’événement à l’origine des cas mentionnés ci-dessus pour notifier au Vendeur de sa décision de résiliation anticipée, cette survenance de l’évènement étant actée dès la date de publication de la mesure.