Pour atteindre son objectif de neutralité carbone d’ici 2050, la France doit accélérer drastiquement l’électrification de sa production et des usages de l’énergie. Cela implique une multiplication des infrastructures nucléaires et renouvelables, comme l’a démontré RTE dans son Bilan prévisionnel 2023-2035. L’éolien en mer est une filière mature qui a démontré sa compétitivité avec la technologie posée, et innovante avec le développement du flottant. C’est aussi une technologie de grande puissance installée dont le développement est prioritaire pour la France métropolitaine, qui dispose d’un grand potentiel au regard de sa surface littorale et de la qualité de ses vents.
Longtemps en retard par rapport aux autres pays européens, la filière éolienne en mer en France est en train d’accélérer son déploiement grâce à la volonté de l’Etat qui a annoncé une ambition forte (au moins 40 GW installés d’ici 2050) et a adopté une série de d’évolutions législatives et réglementaires permettant la simplification et l’accélération des procédures entourant les projets.
Pour atteindre l’objectif d’un minimum de 40 GW de capacité installée d’ici 2050, il est impératif d’atteindre le palier de 18 GW installés d’ici 2035. Cela implique une accélération du lancement des projets, vu qu’actuellement seuls 4,5 GW ont été attribués. Le Gouvernement a annoncé que les appels d’offres dits “extension” (des projets existants au large de la Bretagne, de la Méditerranée et d’Oléron), soit 2,5 GW, devraient être lancés d’ici la fin de l’année 2023. Par ailleurs, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a annoncé récemment à la filière le lancement d’un appel d’offres pouvant aller jusqu’à une puissance cumulée de 10 GW d’ici fin 2024/début 2025. Ces nouvelles sont très positives pour la filière, et l’AFIEG salue ces annonces qui donnent une visibilité à l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur.
Cependant, en ligne avec la position de la Commission de régulation de l’énergie1 de mars 2023, l’AFIEG fait le constat d’une forte concentration du marché de l’éolien en mer en France en faveur d’EDF. Pour rappel, à date, sur les huit projets éoliens en mer qui ont déjà été attribués en France, cinq l’ont été à des sociétés de projets (SPV) dont EDF Renouvelables est l’actionnaire majoritaire, soit 3 GW sur 4,5 GW.
Cet état de fait vient s’ajouter à une position également dominante de l’opérateur historique EDF sur les actifs de puissance significative : nucléaire, avec un monopole de fait; hydroélectricité, le renouvellement des concessions par appels d’offres n’ayant toujours pas eu lieu, malgré les dispositions de de la loi française et les différents rappels à l’ordre de la Commission européenne2.
En définitive, l’effectivité de l’ouverture à la concurrence sur les actifs de puissance significative peut être formellement questionnée en France en l’absence de mesure concrète pour permettre l’ouverture du marché aux autres investisseurs français et européens.
Pourtant, de nombreuses raisons économiques et opérationnelles justifient une diversification des acteurs :
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Un seul opérateur ne peut supporter seul tous les coûts de renouvellement et de développement de l’ensemble des filières de production d’électricité. Le mur d’investissement nécessaire à la transition énergétique ne doit et ne peut pas être porté par un seul acteur, au risque de dégrader sa solidité financière et son endettement.
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Il est important de donner un signal fort aux investisseurs européens, échaudés par des signaux contraires envoyés depuis deux décennies sur les actifs de puissances significatives en France et qui demandent seulement à avoir des conditions de marché justes et équilibrées.
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Il est pertinent d’éviter la concentration du risque. En effet, une variété d’acteurs est un gage de dilution du risque pour le tissu industriel de l’éolien en mer en France. En Allemagne et au Royaume-Uni, où cette industrie est éminemment plus importante, il existe ainsi plusieurs acteurs dans l’éolien en mer, gages d’une concurrence saine et d’une chaîne d’approvisionnement robuste.
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La concurrence dans la production de l’électricité, et en particulier dans l’éolien en mer, permet de faire bénéficier le marché des retours d’expérience des acteurs, qui sont pour certains présents sur le marché de l’éolien en mer en Europe depuis plus de 20 ans.
L’AFIEG appelle donc, comme la CRE, à ce que l’Etat mette en place des mesures concrètes pour garantir la diversification des opérateurs de parcs éoliens en mer en France. En particulier, l’AFIEG propose l’introduction de plusieurs clauses dans le droit français pour assurer l’existence d’une réelle concurrence sur ce secteur stratégique.
1.Clause d’allotissement à un candidat ou même opérateur économique
Nous préconisons, à l’instar d’autres associations professionnelles représentatives de la filière éolienne en mer, pour le(s) futur(s) appel d’offres de la PPE 2024-2033:
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La possibilité pour le ministre en charge de l’énergie de prévoir dans le cahier des charges des futurs appels d’offres une clause d’allotissement du nombre de projets ou des capacités appelées pouvant être attribuées à un seul candidat ou entreprise. Le volume maximal des capacités appelées pouvant être attribuées ne devrait pas dépasser 30%3.
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Le lancement d’un seul et même appel d’offres d’un minimum de 10 GW d’ici 2025 (plutôt que plusieurs appels d’offres parallèles). Cela permettra d’assurer la rapidité et l’efficacité du processus : un seul cahier des charges et une seule notification à la Commission.
La définition de « candidat » doit ici être bien spécifiée afin d’éviter qu’un opérateur économique ne « joue » sur des variations de la composition de son groupement afin de pouvoir obtenir plus de capacité. Ainsi, le cap d’allotissement pourrait s’entendre au niveau d’un opérateur économique (ayant le même actionnaire ultime) quel que soit son niveau de participation dans un groupement. Si celui-ci est dans deux groupements différents, il ne peut être lauréat de plus de 30% de la capacité soumise à l’appel d’offres.
2.Plafond de parts de marché
Dans la délibération précitée, « la CRE constate ainsi à ce stade une concentration élevée du marché de l’éolien en mer en France, qui ne s’observe pas ailleurs en Europe ni dans les autres filières renouvelables en France. Elle a pour conséquence une concentration des risques inhérents au déploiement de projets éoliens en mer, qui sont structurellement plus importants que pour d’autres filières. Pour cette raison, et pour des raisons de concurrence, la CRE considère cette situation comme très insatisfaisante. »
Nous proposons donc la possibilité pour le ministre en charge de l’énergie de pouvoir limiter dans le cahier des charges des futurs appels d’offres le nombre maximal de projets ou la puissance cumulée maximale pour lesquels un même candidat ou entreprise peuvent présenter une offre.
Cette possibilité permettrait un rééquilibrage du marché, qui est actuellement concentré aux mains de l’opérateur dominant à hauteur de 70%.
3.Limitation des avantages concurrentiels
Afin de développer la diversité du marché de l’éolien en mer en France, les futurs appels d’offres dits « extension » pourraient inclure des mesures limitant les avantages concurrentiels bénéficiant au lauréat du parc éolien en mer qui est « étendu ».
Les appels d’offres dits « extension » avantagent le candidat gagnant du premier parc dit « étendu », du fait de nombreuses synergies pouvant être imaginées entre les deux parcs. Seule une modification significative des mécanismes d’évaluation et d’attribution du projet dans les appels d’offre permettrait de rétablir une concurrence ouverte :
Afin de limiter l’incidence de prix trop bas ou injustifiés par rapport aux autres offres, plusieurs solutions existent :
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La CRE a déjà la possibilité de contrôler les offres anormalement basses. Etant donné que le poids du prix dans l’évaluation de l’appel d’offre est 70% de la note, un moyen pourrait être de fixer un prix plancher du CfD pour éviter la course au prix le plus bas qui dévalue la chaine de valeur et met à risque la filière.
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De plus, le candidat, lauréat du projet initial, pourrait être tenu d’expliciter et de chiffrer les synergies envisagées dans l’offre qui sera faite pour l’appel d’offres extension (information qui devra être rendue publique), ce qui donnerait plus d’éléments pour l’évaluation de l’offre par la CRE.
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Enfin, les futurs cahiers des charges pourraient renforcer le poids du critère de robustesse de l’offre.
4.Décret balai présenté par la DGEC au CSE le 26 septembre 2023 et mis en consultation publique le 26 octobre 2023
La loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 ont apporté des modifications au cadre juridique relatif aux installations de production d’énergie renouvelable en mer et leurs ouvrages de raccordement.
Le projet de décret présenté par la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) au Conseil Supérieur de l’Energie (CSE) le 26 septembre 2023 contient des dispositions d’application des lois précitées ainsi que des évolutions qui s’appuient sur le retour d’expérience des dialogues concurrentiels menés lors des récents appels d’offres relatifs à l’éolien en mer.
Le projet de décret soumis au CSE prévoyait notamment la disposition suivante :
Le 2° de l’article R. 311-25-12 du code de l’énergie est complété par un 2° bis ainsi rédigé :
« 2°bis Le cas échéant, le nombre maximal de projets ou la puissance cumulée maximale pour lesquels un même candidat ou Entreprise peut présenter une offre d’une part ; le nombre maximal de projets ou la puissance maximale cumulée qui peuvent être attribués à un même candidat ou entreprise d’autre part ; ».
Des amendements portés par le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) et adoptés en séance modifient l’esprit du texte :
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Premièrement, ils enlèvent la possibilité pour le ministre en charge de l’énergie de limiter le nombre maximal de projets ou la puissance cumulée maximale pour lesquels un même candidat ou entreprise peut présenter une offre ;
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Deuxièmement, ils retirent la possibilité offerte au ministre en charge de l’énergie de limiter la puissance maximale cumulée qui peut être attribuée à un même candidat ;
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Enfin, ils suppriment la notion d’entreprise qui visait à conférer au ministre chargé de l’énergie les moyens de garantir l’effectivité du dispositif, lequel doit non seulement s’appliquer aux sociétés directement candidates à l’appel d’offres, mais également leurs actionnaires.
L’AFIEG se réjouit de voir que la version du projet de décret soumis à consultation publique le 26 octobre par la DGEC vise à maintenir la possibilité pour le ministre en charge de l’énergie de limiter « le nombre maximal de projets ou la puissance maximale cumulée qui peuvent être attribués à un même candidat ». Pour autant, nous considérons que pour permettre une véritable ouverture du marché les deux autres points soulevés ci-dessus devraient aussi être rétablis dans la rédaction du décret.
Dans tous les cas, il est impératif que l’entrée en vigueur de ce décret intervienne le plus tôt possible pour qu’il soit applicable aux appels d’offres en cours et à venir.
1 Délibération n°2023-77 de la CRE du 9 mars 2023 portant sur les résultats de l’AO4 Centre Manche 1 et Réponse de la CRE à la consultation du Ministère de la Transition énergétique sur l’accélération du développement de l’éolien en mer en France
2 A ce titre, les deux solutions envisagées par le Gouvernement (Quasi Régie ou transfert en autorisation) ne résoudraient en rien cette position dominante, précisément visée par la mise en demeure d’octobre 2015 motivée par la position dominante d’EDF prohibée par les articles 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
3 On peut citer à titre d’exemple le cas du UK Round 4, où un cap d’allotissement à 3GW par participant (sur une procédure d’environ 7-8GW, soit environ 35% du volume) avait été intégré au cahier des charges.