Le chantier de renouvellement des concessions hydroélectriques présente de multiples opportunités et enjeux économiques, techniques, sociaux et environnementaux.

Qu’adviendrait-il de la logique concessive en cas de passage à une quasi-régie, comme l’envisage le Gouvernement ?

L’établissement de la quasi-régie, solution proposée par le Gouvernement que la Commission européenne aurait accepté d’étudier, revient à sortir la grande hydroélectricité du modèle de concession ancré dans le droit français. Elle implique le maintien de la gestion de 80% du parc par un seul et même exploitant, l’opérateur historique, sans aucunement « challenger » ses propositions par une procédure de renouvellement où le dialogue compétitif permet de faire émerger un choix optimal. La personne morale de la quasi-régie ne peut en outre avoir aucune autonomie, c’est-à-dire que l’Etat devra avoir sur la quasi-régie la même relation qu’avec son administration centrale. Au regard de sa complexité juridique et de ses conséquences économiques, politiques et concurrentielles, l’option de quasi régie semble poser plus de problèmes qu’elle n’apporterait de solutions au bon fonctionnement du système hydroélectrique français. De ce fait, plutôt que de vouloir éviter à tout prix une mise en concurrence par la voie du renouvellement des concessions, il est bon de rappeler au contraire en quoi consisterait cette solution et quels avantages elle pourrait procurer.

Qui impose le renouvellement des concessions hydroélectriques ?

Le renouvellement des concessions est inscrit dans loi Sapin I (1993), qui exige la remise en concurrence régulière des concessions selon des principes de bonne gestion et de transparence. Le cadre légal est également constitué des lois Grenelle II de 2010 et de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 et prend en compte la transformation d’EDF en SA. Ce cadre juridique est stabilisé depuis plusieurs années. Ce n’est donc pas une obligation de la Commission européenne. Si la Commission fait pression, c’est que la France est en retard sur l’application de ses propres lois, ce qui a entraîné un contentieux européen, lequel « constitue désormais une nouvelle justification à l’inaction », selon la Cour des comptes. En 2005, la Commission a lancé une procédure de mise en demeure close en 2008 après des engagements du Gouvernement français. Faute d’action concrète, elle a lancé deux nouvelles procédures en 2015 puis 2019.

Qui sera propriétaire des installations hydroélectriques ?

L’Etat français restera propriétaire des concessions et sera décisionnaire de l’attribution des concessions. Les centrales ne seront donc pas privatisées. Le Ministre de la transition écologique et solidaire avait rappelé lors d’une audition à l’Assemblée nationale en 2018 que l’Etat garderait la maîtrise des concessions et ‘‘n’était pas en train de vendre [les barrages]’’. Il avait réaffirmé qu’il s’agissait de ‘‘concéder, pour une certaine durée, l’exploitation d’un ouvrage qui lui, reste dans le domaine public’’. Contrairement à la situation des actuels concessionnaires, le code de l’énergie impose le paiement par le nouveau concessionnaire d’une redevance au profit de l’Etat et des collectivités territoriales, pour qu’ils retirent un juste retour financier des recettes de la concession. En outre, dans le cadre concessif, les collectivités peuvent intégrer l’exploitation des barrages au travers de SEM-H (Société d’économie mixte hydroélectrique).

Les salariés des centrales vont-ils perdre leur statut ?

L’article 47-2 de la loi du 8 avril 1946 modifié par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 prévoit que : ‘‘le personnel se verra obligatoirement proposer d’être repris par le nouveau concessionnaire, au statut des Industries Electriques et Gazières (IEG) et dans des conditions salariales équivalentes’’.

Barrage EDF de Kembs sur le Rhin (Alsace)

Qu’en est-il d’EDF, qui exploite actuellement les barrages ?

EDF pourrait candidater à la reprise des concessions, comme tout autre opérateur. Cela a été confirmé par la Commission européenne le 21 novembre 2018, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée.

La France est-elle un cas isolé en Europe ?

Dans d’autres pays européens, plusieurs opérateurs, notamment français, exploitent, voire possèdent des barrages. En Suède, cinq opérateurs sont propriétaires d’actifs hydrauliques et tenus de respecter des obligations de service public. En Italie, aucun acteur n’est autorisé à posséder plus de la moitié du parc installé, ce qui a conduit à une cession d’actifs de l’opérateur historique à d’autres sociétés. En Allemagne, les opérateurs historiques ne peuvent pas exploiter plus de 30% des capacités hydroélectriques, ce qui avait conduit E-On à céder notamment 132MW à GDF Suez en 2012.

 

En outre, l’attention de la Commission européenne ne se focalise évidemment pas sur la France. Ainsi, en mars 2019, la Commission a adressé une mise en demeure à 8 États membres, dont la France, pour faire en sorte que les marchés publics dans le secteur de l’énergie hydroélectrique soient attribués et renouvelés dans le respect du droit de l’UE.

 

Quel sera le niveau d’exigence demandé aux concessionnaires ?

Le cahier des charges que devront respecter les nouveaux concessionnaires a été remanié. Il est plus exigeant que le cahier des charges actuel. En réponse à une question parlementaire en novembre 2018, le Gouvernement d’Emmanuel Macron avait rappelé que, sur le fondement du décret n°2016-530 du 27 avril 2016, ‘‘en ce qui concerne la sécurité et l’environnement, tous les barrages en France, quel que soit leur exploitant, sont soumis à une réglementation rigoureuse qui fait l’objet de contrôles réguliers par les services de l’Etat’’. Les nouveaux concessionnaires seront par ailleurs performants en matière de modernisation, de sécurité et d’optimisation.

Qui gèrera l’optimisation et la sécurité du système électrique ?

L’équilibrage du système électrique français est toujours du ressort de RTE et non de l’opérateur des moyens de production. Les nouveaux concessionnaires continueront à répondre aux exigences de RTE (services systèmes, réserves rapides, etc.). Tous les producteurs raccordés au réseau public de transport français sont dans l’obligation légale de mettre à disposition de RTE la totalité de leur puissance résiduelle et contribueront donc, au même titre que le concessionnaire sortant, à la sécurité du système électrique.

Comment la ressource en eau sera-t-elle gérée entre les différents acteurs pour préserver les différents usages ?

L’Etat délèguera l’exploitation des ouvrages hydroélectriques à des concessionnaires sur la base d’un cahier des charges et d’un règlement d’eau. Les cahiers des charges régissent les modalités d’exploitation des ouvrages et assurent un juste partage de la ressource en eau (agriculture, alimentation des populations en eau potable, industrie, activités de loisir et de tourisme). Leur prise en compte exclut donc que l’aménagement hydroélectrique soit exploité dans la seule recherche d’une production hydroélectrique optimale. Le manquement à ces dispositions réglementaires relève de sanctions pénales et administratives.

Les tarifs réglementés d’EDF seront-ils affectés par le renouvellement des concessions ?

Les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVe) ne sont pas construits en fonction des coûts de production de l’hydroélectricité mais par addition du prix de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) et d’un complément d’approvisionnement reflétant les prix du marché de gros de l’électricité (décret n°2014-1250 du 28 octobre 2014).