Par lettre du 28 février 2020, la Commission européenne a notifié à la France sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108 paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne concernant la mesure susmentionnée.
La Commission européenne a publié au Journal Officiel de l’Union Européenne le 3 avril 2020 le contenu de la lettre adressée à la France, et invité les parties intéressées à présenter leurs observations sur la mesure à l’égard de laquelle elle a décidé d’ouvrir une procédure.
L’AFIEG ne s’estime pas en position d’apprécier la conformité du système régulé de stockage français au droit européen des aides d’Etat, et laisse pour ce faire le soin à la Commission européenne d’en juger.
La réforme étant entrée en vigueur le 1er janvier 2018, l’AFIEG dispose désormais du recul nécessaire pour tirer un premier bilan sur cette réforme.
L’AFIEG est ainsi globalement satisfaite de la réforme du stockage qui a rempli ses deux objectifs principaux :
– Premièrement les distorsions de concurrence qui prévalaient avant la réforme, en raison du manque de transparence du précédent système d’obligations individuelles qui avait pour effet de placer les différents fournisseurs dans des conditions concurrentielles significativement différentes, ont été supprimées.
– Deuxièmement la sécurité d’approvisionnement a été assurée pour les hivers 2018/2019 et 2019/2020, et sera assurée pour l’hiver 2020/2021 à venir, sans avoir à actionner le filet de sécurité, ce qui apporte une visibilité utile aux fournisseurs.
L’AFIEG souhaite toutefois apporter ses observations sur deux autres paramètres importants de la régulation du stockage : la méthode de valorisation des actifs de stockage, qui est remise en cause par la Commission dans sa lettre à la France, et le périmètre des actifs de stockage nécessaires en volume et en débit pour assurer la sécurité d’approvisionnement, qui n’est quant à lui pas directement remis en question par la Commission mais mériterait d’être réexaminé par les autorités françaises afin de maximiser le rapport coût/bénéfice du stockage pour les consommateurs.
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I. La méthode de valorisation de la base d’actifs régulés (BAR)
La régulation du stockage doit viser la sécurité d’approvisionnement au meilleur coût pour ses bénéficiaires, à savoir les consommateurs français.
La valorisation de la BAR à l’entrée dans la régulation, et les ajustements apportés à celle-ci en cours de régulation, constitue un paramètre fondamental du rapport coût/bénéfice du stockage pour les consommateurs.
L’AFIEG ne disposant pas d’éléments chiffrés précis sur les actifs de stockage, elle n’est pas en position de valider ou d’invalider la valorisation retenue par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) à lors de l’entrée dans la régulation.
L’AFIEG est toutefois favorable, comme la Commission le propose, à ce que les actifs de stockage régulés soient valorisés à leur valeur économique de marché et non pas à leur valeur comptable.
Le reproche pouvant être fait à la valeur économique de marché serait le risque de fluctuation de la valeur, contrairement à la valeur comptable qui présente l’avantage d’être stable et donc prévisible pour les acteurs.
En dépit de cette potentielle critique, l’AFIEG considère que la valeur économique de marché reflète plus fidèlement la valeur d’un stockage à l’instant T qu’une valeur comptable qui donne une vision plus historique.
De plus, les périodes de régulation étant de 4 ans, le risque de fluctuation des valeurs de marché est atténué.
Le rapport sur le stockage d’avril 2017 établi à la demande de l’Etat français recommandait d’ailleurs de ne pas retenir uniquement la valeur comptable des actifs :
« Or, la prise en compte de la seule valeur comptable des actifs conduirait à une disparité importante entre les trois opérateurs. Aussi de nouvelles références doivent-elles être apportées pour ce calcul, pour guider la CRE et garder un aspect incitatif au système de rémunération des stockages… Une telle méthodologie assurerait une équité entre sites et entre opérateurs, sans pour autant nécessairement s’écarter trop du total de la valeur actuelle des actifs pour chacun d’eux ».
La mission recommandait que le revenu régulé soit défini en fonction du débit de pointe, c’est-à-dire la performance des stockages, au regard du coût d’une alternative équivalente :
« Ainsi, ce principe conduira surtout à répartir la BAR en fonction de la performance relative des actifs de façon plus équitable que les seules valeurs comptables ».
L’AFIEG soutient cette analyse du rapport qui permet de prendre en compte la performance des stockages, ce que la seule analyse comptable ne permet pas, et qui contribuerait à rapprocher la valorisation retenue de la valeur économique de marché.
La valorisation du gaz coussin semble à l’AFIEG une autre composante fondamentale de la valorisation des actifs de stockage.
Selon l’analyse de la CRE à l’entrée dans la régulation , le gaz coussin représentait plus de 50% de la BAR de Storengy et plus de 75% de la BAR de Terega.
Les règles d’amortissement du gaz coussin étaient très disparates avant l’entrée dans la régulation, que ce soit au sein même de chaque opérateur eu égard aux changements de règles successifs dans les dernières années précédant la régulation, ou que ce soit d’un opérateur à l’autre.
Les durées d’amortissement du gaz coussin demandées par les opérateurs ont été considérablement réduites par la CRE au printemps 2018.
En tout état de cause, l’AFIEG souhaite que cette question soit réexaminée dans le détail et clarifiée de sorte que les acteurs puissent enfin connaitre l’impact financier réel du choix des règles d’amortissement du gaz coussin sur la valeur globale de la BAR.
La lettre de la Commission mentionne en outre :
« la Commission constate que cette méthode [de valorisation des actifs selon la valeur brute comptable ajustée] conduit à rémunérer des investissements réalisés avant la mise en œuvre du mécanisme de régulation lorsque les revenus des opérateurs de stockage n’étaient pas encore régulés. »
L’AFIEG est évidemment en accord avec la Commission sur ce point, mais fait néanmoins confiance au professionnalisme de la CRE qui avait mis en lumière ce risque et s’était attachée à le maîtriser lors de l’entrée dans la régulation.
Par ailleurs, l’AFIEG considère que l’activité d’opérateur de stockage n’est pas exposée à des risques plus importants que ceux des gestionnaires de réseaux de transport. En effet, les opérateurs de stockage bénéficient d’une garantie de volume, ce qui n’est pas le cas pour l’activité de transport. Concernant les risques techniques, l’activité de transport bénéficie d’un niveau de dangerosité plus faible que l’activité de stockage mais doit faire face à de nombreux enjeux de performances techniques. C’est pourquoi, le taux de rémunération de la BAR retenu ne devrait pas être supérieur à celui des GRT qui est actuellement fixé par la CRE, à savoir à 5.25% .
II. Le périmètre des actifs de stockage régulés
L’AFIEG considère que le périmètre des actifs de stockage régulés, que ce soit dans l’ancien système non régulé d’obligations individuelles ou dans le schéma actuel de stockage régulé, excède en volume et en débit les besoins de la sécurité d’approvisionnement.
Cet aspect n’est pas spécifiquement questionné par la Commission dans sa lettre, mais l’AFIEG tient néanmoins à faire les observations suivantes dans la mesure où la valeur et le volume sont deux déterminants indissociables du niveau de revenu autorisé des stockeurs dans le schéma régulé actuel.
L’AFIEG souhaite premièrement souligner le décalage entre les hypothèses en termes de risque de défaillance retenue par les pouvoirs publics français et les critères européens. Ce décalage peut expliquer une partie des surcoûts supportés par les consommateurs français en comparaison de ses voisins européens.
Le surdimensionnement de l’obligation française est en effet lié à un niveau de couverture du risque fixé à 2% alors que la norme européenne est à 5% :
o « La législation française applique une norme d’approvisionnement renforcée […] le point 4.6 du plan d’urgence prévoit que la norme d’approvisionnement ne peut en aucun cas être réduite en dessous d’un risque de vague de froid de 5 %. Des informations supplémentaires seraient nécessaires pour déterminer si cette limitation doit être considérée comme absolue et indépendante de 2 Article 10, paragraphe 7, du règlement: Les États membres, et en particulier les autorités compétentes, veillent à ce que: a) aucune mesure ne soit prise, à aucun moment, qui restreigne indûment le flux de gaz au sein du marché intérieur; b) aucune mesure ne soit prise qui risque de compromettre gravement l’état de l’approvisionnement en gaz dans un autre État membre; et c) l’accès transfrontalier aux infrastructures, conformément au règlement (CE) nº 715/2009, soit maintenu autant que possible au regard des contraintes techniques et de sûreté, conformément au plan d’urgence. FR 6 FR la situation climatique et de la sécurité de l’approvisionnement, aussi bien en France que dans les autres États membres concernés, auquel cas la norme d’approvisionnement renforcée en vigueur pourrait être considérée comme susceptible de mettre en danger la sécurité de l’approvisionnement dans un autre État membre. »
o “French requirements are clearly and explicitly tighter than those required by the Security of Supply Regulation.”
L’AFIEG constate par ailleurs que l’administration française a fixé pour l’hiver gazier le niveau des stocks minimaux de gaz naturel nécessaires pour garantir la sécurité d’approvisionnement à hauteur de 1.990 GWh/j en débit de soutirage et 64 TWh en volume.
L’AFIEG note que, parallèlement, la liste des infrastructures essentielles de stockage souterrain de gaz naturel fixée par le décret relatif à la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) sur la période 2023-2028 prend en considération 2.376 GWh/j en débit de soutirage et 138,5 TWh en volume.
Or, il s’agit bien de ce dernier périmètre des actifs de stockage régulés qui est pris comme référence par la CRE dans le calcul du revenu autorisé des stockeurs dans le nouveau régime de stockage régulé.
Il apparait ainsi contradictoire de considérer d’un côté 1.990 GWh/j en débit et 64TWh en volume comme niveaux minimums de référence pour assurer la sécurité d’approvisionnement en France, et de l’autre de déterminer des niveaux différents et bien supérieurs dans le calcul du revenu annuel autorisé des stockeurs.
Le périmètre arrêté par le décret PPE s’avère ainsi surdimensionné eu égard aux besoins de stockage garantissant la sécurité d’approvisionnement en France, qui plus est dans un contexte général de baisse de la consommation de gaz en France chaque année.
Le rôle des consommateurs n’est pas de subventionner une partie de l’activité des opérateurs de stockage mais de payer un service utile, à savoir la sécurité d’approvisionnement même en cas d’hiver froid ou de pointe de froid, dont le coût est encadré par le régulateur.
L’AFIEG souhaite par conséquent qu’une modification de la nouvelle Programmation Pluriannuelle de l’Energie autour du périmètre des actifs de stockage régulés, afin de le rendre cohérent avec les niveaux minimums de stocks fixés chaque année par l’administration française, de façon à ce que les consommateurs finaux ne « surpaient » pas la sécurité d’approvisionnement. En effet, plus le revenu autorisé des stockeurs est élevé, plus la compensation stockage à la charge des consommateurs raccordés au réseau de distribution est élevée.
Enfin, le dispositif actuel est focalisé sur les stockages, si bien qu’une surestimation des besoins des stockages nécessaires peut nuire aux autres capacités de flexibilité de gaz, pourtant directement nécessaires à la sécurité d’approvisionnement (interconnexions, terminaux GNL, effacements…). Or, la directive 2009/73 relative au marché intérieur du gaz naturel rappelle que la diversification des sources et des voies d’approvisionnement en gaz de l’Union est essentielle pour améliorer la sécurité de l’approvisionnement de l’Union dans son ensemble et de ses États membres individuellement. L’AFIEG ne peut que constater que l’assiette du mécanisme désavantageant les terminaux GNL et les interconnexions va désinciter d’une part à les utiliser et d’autre part, à en construire de nouvelles capacités, également nécessaire à la sécurité d’approvisionnement. Le développement des interconnexions gazières et un approvisionnement en GNL adéquat sont nécessaires d’une part à la réalisation d’un marché intérieur du gaz naturel intégré et d’autre part, afin de sécuriser les sources et voies d’approvisionnement en gaz de l’Union. Il est dès lors essentiel de veiller à ce que ces capacités puissent être pérennisées à l’avenir, au regard des bénéfices qu’elles apportent au système gazier.