14 janvier 2022

L’optimisation de l’exploitation du parc nucléaire s’inscrit dans un double objectif : celui de maximiser la production électrique bas carbone et d’en minimiser les coûts unitaires afin de favoriser la transition énergétique et les transferts d’usage conformément aux objectifs de la Stratégie nationale bas carbone.

 

 

Contexte :

 

Le taux d’exploitation du parc nucléaire français figure parmi les plus bas au monde. En effet, la comparaison internationale est peu flatteuse. Quand les Etats-Unis, l’Espagne, la Slovaquie ou la Suisse présentent un facteur de charge de 90%, la France, avec 68,1 % en 2019, présente la disponibilité la plus basse de l’OCDE hors Japon après la Belgique et la Corée, alors que la moyenne mondiale est de 80,3%[1], soit plus de 10 points supérieure aux performances françaises actuelles. De surcroît, la disponibilité du parc nucléaire en hiver a baissé de 12 points entre 2015 et 2019 selon RTE. Alors que la France dispose du premier parc installé, par ailleurs largement standardisé, cette situation prive les consommateurs d’une électricité historique bas carbone compétitive. A titre d’illustration, près de 22 GW étaient à l’arrêt mi-décembre, soit plus d’un tiers de la capacité du parc, sans que le facteur lié à l’âge ne puisse être invoqué[2]. Certes, certains facteurs explicatifs peuvent être avancés comme les essentielles contraintes liées à la sûreté, les quatrièmes visites décennales, la nécessité de s’adapter à l’injection toujours plus grande de renouvelables, etc. Toutefois, ces facteurs sont insuffisants à expliquer une telle dégradation.

 

Cette situation ne peut perdurer, sachant qu’elle prive les consommateurs d’une électricité bas carbone compétitive, ampute de façon non négligeable les résultats d’EDF, affecte l’indépendance électrique de la France et la sécurité d’approvisionnement, comme l’illustre l’hiver 2021-2022.

 

Il a été initialement prévu d’amortir les centrales nucléaires françaises, construites en grande partie dans les années 80, sur 25 ans, durée d’amortissement qui a été ensuite portée à 40 ans, puis 50 ans pour le palier 900 MW.

 

Or le programme de « grand carénage » élaboré par EDF pourrait permettre de prolonger la durée de vie des centrales à 60 ans, dans le périmètre actuel du parc et dans le respect des exigences de sûreté révisées après Fukushima. La visibilité apportée par cette opportunité de prolongation du parc nucléaire correspond précisément au besoin de visibilité de l’industrie pour les quinze prochaines années alors qu’il ne pourra pas être satisfait à cet horizon par des moyens de production de base alternatifs.

 

Pourquoi créer une incitation à l’optimisation de la production

 

Les objectifs d’exploitation du parc nucléaire doivent s’appuyer, en pleine conformité avec les recommandations de l’Autorité de sûreté nucléaire, sur la maximisation de la production et aligner les indicateurs de performance industrielle de production du parc français, en volume et en coût, avec ceux observables chez nos homologues européens et internationaux, et en particulier sur les standards constatés aux standards WNA. Cet objectif est motivé par deux raisons majeures :

 

  • pour des raisons économiques, le coût de production nucléaire étant en très grande partie fixe. L’optimisation de la production, doublée d’une rationalisation des coûts, permettrait d’augmenter la compétitivité du mix électrique français et européen peser sur le merit order des marchés européens grâce à une marginalité[3] plus grande du nucléaire qui contrebalancerait le trop grand poids des centrales thermiques à flamme, charbon ou gaz. Hisser le taux d’exploitation du parc français à 90% pourrait permettre de dégager un productible additionnel d’environ 100 TWh/an, soit l’équivalent des volumes cédés au travers de l’ARENH. En outre, il serait nécessaire d’auditer l’impact de la modulation de la production et l’optimisation de cette modulation, qu’elle soit saisonnière ou mensuelle, afin de s’assurer qu’elle ne conduit à une perte de valeur pour les consommateurs français et européens[4].
  • pour améliorer le bilan carbone de la France et de l’Europe et pour favoriser les transferts d’usage, la production nucléaire n’étant pas carbonée, elle pourrait remplacer, en été notamment, des moyens de production fortement carbonés en Europe ou à défaut alimenter des nouvelles sources de consommation d’électricité en remplacement de technologies fossiles (production d’hydrogène, véhicules électriques, etc.).

 

Au regard de ces objectifs, comment établir une incitation à produire ?

 

Une telle incitation ne pourrait qu’être introduite dans le cadre d’une régulation du nucléaire. Elle n’a pas vocation à être introduite dans le cadre d’une valorisation de marché, ce dernier devant normalement envoyer les signaux adéquats et ceux-ci devant normalement être reçus par l’exploitant comme une incitation à valoriser ses actifs au plus près des besoins du système électrique.

 

Deux types d’incitations pourrait être envisagées dans le cadre d’une régulation économique du nucléaire.

 

  1. Une première incitation pourrait être introduite dans le cadre du choix de la référence marché utilisée dans le CfD qui sous-tend le projet de nouvelle régulation économique du nucléaire existant : ainsi, une telle incitation se décline dans le cadre du dispositif de complément de rémunération dont peuvent bénéficier les actifs renouvelables. Cette incitation pourrait donc aisément se décliner dans le cadre d’un dispositif de régulation du nucléaire du type contrat de différence. Ainsi, dans le cadre des compléments de rémunération en vigueur, le prix de marché de référence M0 est établi afin de maximiser l’incitation du producteur : Selon la CRE[5], « le prix de marché de référence M0 utilisé pour le calcul de la prime joue un rôle déterminant dans l’incitation des producteurs à réagir aux signaux de prix. Le pas de temps retenu est à ce titre un paramètre central. L’incitation à produire au moment où le système électrique en a le plus besoin, c’est-à-dire au moment où les prix de marché sont les plus élevés, est d’autant plus forte que le pas de temps considéré est long . À cet égard, seul un pas de temps annuel permet de refléter les variations saisonnières du marché. […] S’agissant des filières commandables, les prix de marché à terme constituent la référence pertinente à retenir pour le calcul de la prime. La CRE est favorable à la définition du paramètre M0 à un pas de temps annuel, ainsi qu’à la prise en compte des références de prix à terme pour les filières commandables. ». Nous proposons que le M0 soit défini sur la moyenne des prix du produit calendaire de l’année de livraison échangé sur une période à définir. Cette période pourrait être de 12 mois afin d’éviter tout risque de jeux sur les marchés de la part du producteur et de permettre la réplication des prix par le fournisseur. Le M0 serait calculé et communiqué en fin d’année AL-1.Toutefois, une surveillance étroite de la CRE s’imposerait pour éviter ce genre d’effet d’aubaine. De plus, REMIT se présente également comme un garde-fou.

 

  1. Une seconde incitation pourrait se décliner au travers d’une régulation incitative de type tarifaire : à l’instar de la régulation incitative développée par les régulateurs de réseaux européens, un cadre réglementaire spécifique inciterait l’opérateur à garantir le niveau de performance attendu. Une prime incitative serait attribuée aux actifs bénéficiant de la régulation : cette prime se traduirait par une variation à la baisse ou à la hausse du tarif de référence constituant le CfD, en fonction du différentiel constaté ex post au regard d’une performance standard (par exemple la moyenne globale annuelle du taux d’exploitation constatée par le WNA).

[1] “Nuclear reactors worldwide continued to maintain a high average capacity factor, despite the growing requirements for load following. The average global capacity factor in 2020 was 80.3%, maintaining the consistent performance seen over the last 20 years.” (https://www.neimagazine.com/features/featurereporting-nuclear-performance-9261464). “The global capacity factor in 2020 was still high at 80.3%, down from 83.1% in 2019, but maintaining the high performance seen over the last 20 years (Special update of the sixth edition of the World Nuclear Performance Report for the UNFCCC COP26 meeting – https://world-nuclear.org/our-association/publications/global-trends-reports/world-nuclear-performance-report.aspx)

[2]The age of a reactor does not appear to be a barrier to achieving high capacity factors. (…). The data in the 2020 Performance Report are consistent with what has been observed in recent years: there is no apparent age-related decline in the capacity factors achieved by reactors.” (https://www.neimagazine.com/features/featurereporting-nuclear-performance-9261464)

[3] Ainsi, en 2019, selon la CRE, « le nucléaire a connu une forte croissance de son temps de marginalité qui passe de 15,6 % en 2018 à 36,8 % en 2019, ce qui est cohérent avec la baisse des prix spot en 2019. » (Le fonctionnement des marchés de gros de l’électricité et du gaz, juillet 2020). On notera que la performance 2019 dépassait la fourchette émise par la Commission Champsaur en avril 2009 : selon cette dernière, « si le système électrique français était isolé, les centrales nucléaires devraient, pour un parc de production optimisé par rapport à la demande, être en situation marginale entre 30 et 50% du temps (la durée de marginalité optimale dépend de l’évaluation des coûts des combustibles fossiles et du carbone) ».

[4] Dans sa contribution à la PPE en 2018, l’AFIEG demandait, au sujet de la modulation du nucléaire, que les implications d’un suivi de charge accru soit documentée : « le positionnement en faveur d’un recours massif à la modulation du nucléaire qui se dégage des scénarii de RTE dits Ampère et Volt, était discutable. A cet égard, la PPE souligne que « dans le scénario Ampère (50 % d’ENR et 46 % de nucléaire en 2035 – 48,5 GW), les besoins en nouvelles flexibilités sont faibles à l’horizon 2035 et peuvent de la même façon être assurés par de l’effacement. Le stockage reste une solution moins compétitive à cet horizon de temps. Les analyses de RTE indiquent toutefois que cette absence de besoin de flexibilité nouvelle est dépendante des capacités pilotables installées en France, notamment nucléaires. » Cette pilotabilité du parc nucléaire n’est pas étayée par le présent projet de PPE, malgré la demande de l’AFIEG dans son cahier d’acteur de voir documentées les implications techniques, économiques et en matière de sûreté de la modulation du nucléaire. En termes de sûreté, il convient de souligner que les auditions de la commission d’enquête parlementaire ont permis de soulever cette question en soulignant que « la production d’énergie nucléaire devait fonctionner en base et ne devait pas être soumise à des changements de puissance fréquents, en raison, précisément, du risque que présente l’accumulation des chocs thermiques pour le circuit primaire. » (Rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, juin 201). En termes techniques, l’AFIEG rappelle que selon de récentes études, même si le parc possède une marge de manœuvre pour réaliser plus d’opérations de flexibilité, la fréquence de sollicitation à la baisse impliquée par la présence d’éolien et de solaire à des taux supérieurs à 30% paraît difficilement soutenable techniquement et économiquement par le parc nucléaire seul et impliquerait un surcoût par rapport à la flexibilité apportée par des centrales à coût fixe moins élevés. Enfin, en termes économiques, l’AFIEG rappelle que le fonctionnement naturel du parc nucléaire, à savoir à pleine charge, est un atout pour la rentabilité du parc lui-même mais aussi pour l’industrie qui a besoin d’un ruban stable et compétitif. »

 

[5] Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 9 décembre 2015 portant avis sur le projet de décret relatif au complément de rémunération mentionné à l’article L. 314-18 du code de l’énergie

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