1. Durée des périodes, articulation avec les objectifs de la loi et renchérissement du coût de l’énergie
Le dispositif des CEE est entré dans sa quatrième période d’obligation le 1er janvier 2018, initialement pour une durée de trois ans qui a ensuite été portée à quatre ans. Au cours de la seule année 2018, la mobilisation des acteurs du dispositif n’a pas permis à la production mensuelle de CEE de dépasser 60 % du rythme nécessaire pour atteindre l’objectif de la 4e période.
Les objectifs très ambitieux de la 4 e période ont eu pour conséquence un doublement du prix des CEE, aboutissant en 2019 et début 2020 à un prix de marché gravitant autour de 9€/MWh cumac. La hausse continue des prix de marché des CEE, conjuguée à l’insuffisante efficacité du dispositif pour dégager de réelles économies d’énergie, aboutit aujourd’hui à un système qui coûte deux fois plus aux clients finals qu’il ne leur « rapporte » en termes d’économie d’énergie sur leurs factures.
La crainte des obligés de ne pas pouvoir satisfaire leurs obligations et donc de devoir payer des pénalités exerce en outre une pression sur les prix des CEE à la hausse, décorrélée de leur coût réel de production.
Or, l’ADEME a présenté dans un rapport du 12 décembre 2019 ses analyses et recommandations en termes de volumes d’obligation pour la cinquième période, et prévoit une augmentation d’environ 30% de l’obligation. Si le Ministère de la Transition écologique et solidaire devait suivre ces recommandations, il est très probable que les tensions sur le marché s’accroîtront davantage et que le prix de l’énergie continuera d’augmenter.
Le Ministère de la Transition écologique et solidaire a évoqué le 14 juin 2019 un « juste » prix de marché du CEE autour de 6 ou 7€ /MWH cumac qui permet de satisfaire l’ensemble des acteurs du dispositif : artisans, intermédiaires, obligés et bénéficiaires directs. Un dépassement de ce niveau de prix peut s’expliquer par la conjonction de plusieurs facteurs : effets d’aubaine des travaux, problèmes de qualité des travaux, travaux non réalisés, programmes et bonifications et surtout surestimation des forfaits de la fiche standard. Tenant compte de ces facteurs, l’ADEME estime dans son rapport de décembre 2019 qu’une unité d’économie d’énergie comptabilisée à hauteur de 100 par le PNCEE ne génère que 46 d’économies d’énergie réelle.
Cette perte d’économie d’énergie de 54% calculée par l’ADEME serait en grande partie à l’origine du renchérissement du coût CEE.
Afin de s’assurer que les niveaux d’obligations définis soient correctement dimensionnés au regard des gisements réellement disponibles et que les coûts associés soient absorbables par les clients finals, l’AFIEG considère qu’il serait nécessaire de :
– Prévoir que les niveaux d’obligations d’économies d’énergie soient concertés avec l’ensemble des obligés sur la base d’une étude publique des gisements potentiels en fonction des coûts de production des CEE. Cette concertation devrait aller au-delà des travaux réalisés par l’ADEME sur l’estimation des gisements. La CRE ayant la charge de la proposition des tarifs réglementés de vente dans lesquels les CEE constituent désormais une part non négligeable, pourrait également être formellement saisie en amont de la fixation des obligations ;
– Au-delà de l’évaluation tous les 5 ans par l’ADEME des gisements d’économie d’énergie prévue par la loi Energie Climat récemment promulguée, allonger la durée des prochaines périodes sur une durée minimale de cinq ans afin de détendre le dispositif, de donner de la visibilité et d’atténuer ses répercussions financières sur l’ensemble des clients finals. Dans tous les cas, il ne devrait pas y avoir de modifications structurelles du dispositif en cours de période. En ce sens, l’ADEME propose dans sa recommandation 16 de « ne pas modifier les principales modalités d’application » du dispositif durant chaque période d’obligation ;
– Faire preuve de rigueur lors de la détermination des forfaits des nouvelles fiches CEE afin d’éviter les cas de surestimation des économies d’énergie réellement dégagées à l’issue des travaux comme a pu le constater l’ADEME. Toute révision de forfait doit toutefois être mise en regard du niveau d’obligation défini pour les prochaines périodes afin d’éviter un effet ciseaux pour les obligés ;
– Fiches spécifiques ; simplifier la procédure ; « stimuler les opérations spécifiques dans l’industrie en apportant des garanties aux industriels et aux demandeurs », comme propose l’ADEME dans sa recommandation 13.
– Définir en amont un niveau de prix « d’alerte » permettant d’anticiper une dérive des coûts telle que celle actuellement rencontrée ;
– Prévoir un programme de bouclage similaire à une réserve de stabilité afin de contenir le prix des CEE si les obligés se retrouvent, en fin de période, dans une situation à devoir verser une pénalité en cas d’absence d’atteinte des objectifs. Cette réserve pourrait être financée par le versement de la pénalité (plutôt que ces sommes n’aillent au Trésor Public comme c’est actuellement le cas, ne contribuant pas à financer d’actions d’économies d’énergie).
2. Efficacité du dispositif dans son ensemble : permet-il des économies réelles ? Une baisse de la consommation ?
Le coût annuel du dispositif des certificats d’économie d’énergie dépasse aujourd’hui les 4Mds€. L’évaluation du dispositif des CEE est extrêmement parcellaire. Trois études peuvent néanmoins être mentionnées et qui attestent chacune d’une inefficacité structurelle du dispositif :
• L’étude CGEDD, CGE, IGF sur les certificats d’économies d’énergie (2014) avait estimé que « les différents outils publics d’efficacité énergétique (les CEE, le CIDD et l’éco-PTZ étant indissociables dans l’analyse) ont eu un effet très inférieur à l’impact attendu sur la consommation finale ». Cette étude indiquait « que les effets théoriques combinés du crédit d’impôt développement durable (aujourd’hui CITE) et des CEE auraient dû conduire à une baisse supplémentaire de la consommation du résidentiel de l’ordre de 8 % entre 2005 et 2012 ». Or les différentes approches mentionnées par le rapport font état d’un impact compris entre 0 et 3,5 %. Enfin, les rapporteurs déploraient déjà l’absence de suivi et d’évaluation fiables de cette politique publique. En 2013, la Cour des comptes avait déjà recommandé « de vérifier ex-post la réalité des résultats en termes d’économie d’énergie en fonction du type de parc réellement concerné par les opérations. Cette évaluation, qui devrait être rendue obligatoire au moins pour les fiches principales, pourrait être réalisée par l’ADEME ».
• En prolongement de ces premiers travaux, une récente étude a évalué l’impact des travaux de rénovation énergétique dans le secteur résidentiel sur la dépense énergétique. Le modèle économétrique utilisé identifie un effet très modeste des travaux puisque 1000 € supplémentaires dépensés induisent une diminution moyenne de la facture énergétique annuelle de 8,29 € (soit – 0,64%, et – 2,7% si on prend le montant moyen des travaux observés de 4200 €). Cela implique un bénéfice net actualisé de la rénovation très négatif. Selon les auteurs, ces résultats interrogent la pertinence de subventions et d’aides publiques à la rénovation si elles sont motivées par les seules économies d’énergie.
• Lors de la présentation de son étude sur l’efficacité du dispositif des certificats d’économies d’énergie du 12 décembre 2019 – étude quantitative qui arrive bien tardivement au regard des recommandations du CGEDD, CGE et IOGF de 2014, l’ADEME a révélé que seulement 46% d’économies réelles seraient imputables au dispositif (tous secteurs confondus) sur les périodes P2 et P3. La surestimation des forfaits des fiches en serait une des raisons (à hauteur de 25%). Il est impossible de savoir à ce jour si la révision des forfaits qui a pu être mise en œuvre depuis la P3 a pu rectifier ce biais majeur. Il n’en reste pas moins attesté que les consommateurs ont payé deux fois le prix des économies effectivement réalisées pendant a minima la durée des périodes P2 et P3.
Ce corpus d’étude souligne à quel point l’efficacité du dispositif doit être interrogée avant toute évolution substantielle de ce dernier, que cela soit sur le volet opérationnel, sur l’assiette de l’obligation et sur les gisements disponibles.
De surcroît, une mise à jour de l’étude CGEDD, CGE, IGF de 2014 est également indispensable avant toute évolution afin de disposer d’un bilan des effets du dispositif sur la baisse de la consommation d’énergie dans le résidentiel et le tertiaire.
A cet égard, il est évidemment regrettable que la 4ème période ait été prolongée avec un accroissement du volume de l’obligation avant que les éléments relatifs à l’efficacité révélés par l’ADEME n’aient été communiqués aux parties prenantes.
Il n’est pas acceptable que l’inefficacité du dispositif soit couverte par une hausse des objectifs en volume, ce qui revient à faire porter la défaillance d’un système sur ses financeurs et supposés bénéficiaires direct. Au contraire, comme le souligne l’étude Blaise-Glachant, il convient de « déplacer la focale de l’action publique des consommateurs d’énergie vers les fournisseurs de solutions de rénovation énergétique avec un double objectif : réduire les prix et améliorer la qualité de la rénovation. »
3. Obligations – Assiette
Remettant en cause l’un des principes structurels du dispositif, l’ADEME a recommandé lors de sa présentation du 12 décembre de « soumettre les consommations d’énergie des entreprises industrielles et agricoles, autres que les carburants (déjà soumis) » (recommandation 15). L’AFIEG souhaite réitérer ici sa position déjà plusieurs fois exprimée : la possibilité de valoriser des actions d’économies d’énergie sur des installations soumises à ETS ne doit en aucun cas impliquer que la vente d’énergie à ces secteurs ne génère une obligation supplémentaire aux acteurs obligés.
La limitation de l’assiette des ventes aux seuls clients résidentiels et tertiaires doit être absolument conservée. L’AFIEG rappelle en effet que :
– Les clients industriels ne sont pas concernés ou de manière très marginale par les enjeux de thermosensibilité ;
– Les clients industriels optimisent de fait leurs consommations pour des raisons de compétitivité et en réaction directe à des signaux réglementaires que les offres de fourniture véhiculent sur le haut de portefeuille (horosaisonnalisation des tarifs d’acheminement, mécanisme de capacité en électricité, coût du stockage en gaz de surcroît bientôt étendu aux sites transport (ATS), valorisation de capacités d’effacement sur divers marchés…) ;
– Des outils incitatifs existent d’ores-et-déjà : audit énergétique obligatoire pour les grandes entreprises, mise en œuvre d’un Système de Management de l’Énergie (SMÉ) afin d’améliorer la performance énergétique (certification ISO 50001) etc. ;
– Le fait d’être soumis à ETS constitue également un cadre incitatif ;
– Enfin, ces secteurs sont pour la plupart soumis à concurrence internationale, ce qui pose la question de la pertinence d’une telle mesure qui risque de renchérir le prix de l’énergie et affecter leur compétitivité.
4. Contrôle (risques du sourcing de CEE, contrôle et responsabilité du premier demandeur de CEE)
– Responsabilité du premier demandeur de CEE : c’est en priorité le premier demandeur qui doit être sanctionné en cas de CEE irrégulier et non le dernier acheteur. Ce dernier intervient en effet en bout de chaîne, après que les CEE aient été achetés et vendus parfois à plusieurs acteurs différents.
L’AFIEG est donc favorable aux dispositions allant dans le sens de :
o contrôles renforcés au niveau de la demande initiale de CEE ;
o renforcement du professionnalisme et de la solidité des premiers demandeurs de CEE.
La loi Energie Climat a introduit le principe d’un référentiel d’accréditation des organismes d’inspections susceptibles d’intervenir pour vérifier les caractéristiques d’une opération CEE. L’augmentation des contrôles à réaliser permet de crédibiliser et renforcer le dispositif. Attention cependant à ce qu’elle n’induise pas un surenchérissement du prix du CEE final. Les organismes de contrôle rencontrent déjà des difficultés pour mettre en œuvre tous les contrôles prévus par la réglementation (chartes coup de pouce, etc.).
En conséquence, l’AFIEG estime qu’il est nécessaire de :
– Définir un pourcentage réaliste d’opérations soumises à un taux minimal de contrôles ;
– Intégrer un calendrier progressif d’entrée en vigueur des fiches devant faire l’objet des contrôles en deux temps : en l’appliquant tout d’abord à certaines fiches puis en l’élargissant au fur et à mesure aux autres fiches.
Enfin, afin de maintenir un niveau de contrôle important tout en donnant de la stabilité et de la visibilité aux acteurs, les CEE dont les demandes ont fait l’objet d’un contrôles (notamment par échantillonnage) attestant la réalité des opérations et le respect des exigences réglementaires applicables, ne devraient plus faire à nouveau l’objet de contrôles. e. Dans le cas contraire, des contrôles à répétition ne viendraient qu’alourdir les procédures actuelles et in fine le coût du dispositif pour les consommateurs finals.
5. Difficultés à adresser les clients précaires
Les obligés sont soumis depuis 2016, en sus de l’obligation « classique », à une obligation « précarité » visant à réduire la précarité énergétique. Cette obligation est due par tous les fournisseurs, quelle que soit leur structure de clientèle.
La réglementation actuelle crée un biais en défaveur des fournisseurs n’ayant pas de clients résidentiels. Les fournisseurs BtoB de clients uniquement professionnels sont en effet privés du principal levier de génération de CEE, et sont contraints de recourir à d’autres canaux d’obtention de CEE souvent plus coûteux comme la délégation d’obligation ou l’achat de CEE sur le marché secondaire, sous peine d’une pénalité financière.
Le coût CEE étant devenu une composante majeure de l’offre commerciale entre fournisseurs d’énergie, l’AFIEG demande que les fournisseurs purement BtoB ne soient plus soumis qu’à une obligation CEE « classique ».
6. Distorsions de concurrence
Lors du Comité de Pilotage CEE du 27 janvier 2020, la DGEC s’est inquiétée de la pratique de certains acteurs consistant à manipuler des codes NAF afin que la fourniture d’énergie soit exempte de coût CEE.
Certains membres de l’AFIEG confirment rencontrer ce type de pratiques à l’occasion d’appels d’offres. Dans les cas en question, alors qu’ils qualifient les ventes aux prospects comme entrant dans le champ de l’obligation CEE, d’autres fournisseurs excluent la proposition de fourniture d’énergie du champ de l’obligation CEE.
Les membres de l’AFIEG concernés, qui n’ont d’autre choix que de répercuter le coût CEE sur les prospects concernés, ont ainsi perdu des appels d’offres face à des concurrents qui n’appliquent aucun coût CEE dans leurs offres.
L’AFIEG souhaite attirer l’attention des autorités afin que ces pratiques de manipulation des codes NAF soit mieux contrôlée, et que des sanctions soient prononcées à l’égard des acteurs qui faussent la concurrence sur le marché de la fourniture de gaz.